Le désir

Incontestablement, le terme de désir occupe une place essentielle dans l'architecture conceptuelle de l'œuvre de Françoise Dolto. Il en est venu à constituer ce qui donne sa structure à sa pensée, en s'étayant sur l'expérience analytique concrète de l'inconscient.
Et pourtant, il n'est pas facile de savoir si cette catégorie éminente du désir est d'emblée présente chez F. Dolto ou sinon, à partir de quel moment elle y apparaît explicitement pour sous-tendre alors toute son élaboration. On peut du moins faire état du tournant que constitue assurément l'exposé capital qu'elle donne à la Société de Philosophie en avril 1972 sous le titre « Au jeu du désir les dés sont pipés et les cartes truquées », ce qui deviendra ultérieurement l'intitulé d'un de ses recueils de textes majeurs (Au jeu du désir, Seuil, 1981).
Ce qui se manifeste alors à partir de là comme l'importance cruciale de cette référence au désir dans l'élaboration théorique de F. Dolto vient témoigner aussi du rôle qu'aura joué dans son parcours la proximité conceptuelle de toujours avec l'enseignement de Jacques Lacan. Car c’est lui, Lacan, qui est sans conteste à l'origine de cette façon déterminante de reprendre ou relire le travail inaugural de Freud à l'aune de cette catégorie du désir, que Lacan, on le sait, est allé puiser chez Hegel.

À n'en pas douter, F. Dolto s'est ralliée à cette refonte lacanienne. En tout cas, elle a repris à son compte et fait sienne cette terminologie du désir (et du sujet) dont elle a fait son miel théorique. C'est que pour elle aussi, à la lumière de ce que lui révèle son expérience de l'inconscient, le désir est ce qui caractérise la spécificité de l'humain, par tout ce qui le dégage de l'emprise du seul besoin. Pour elle aussi, le désir désigne l'inscription de l'humain dans un ordre symbolique que viennent structurer conjointement la parole et la Loi.
Pour autant, cette catégorie majeure du désir, F. Dolto ne l'extrait pas quant à elle du champ philosophique, car elle en discerne plutôt deux autres sources privilégiées. En premier lieu, elle retrouve concrètement cette dimension du désir réalisée au mieux par ce qu'en manifeste le tout-petit dès sa relation primordiale qui excède le besoin et atteste de la mise en œuvre d’une fonction symbolique toujours déjà là. Le désir est donc ce qui agence tout le vécu de l'enfant (ou l'infans) dans la relation à l'Autre (d'abord classiquement la mère).
S’en détermine le tracé de ce que F. Dolto désigne comme image inconsciente du corps, support relationnel premier du sujet désirant. C'est ainsi toute la clinique qui va pouvoir se trouver rapportée à la mise en évidence du désir, en vue d'en promouvoir le mouvement, moyennant ce que l'on peut appeler une dynamique du désir.
Pour en confirmer la portée déterminante, il est pour F. Dolto une autre source de première importance, qui tient à la lecture inédite qu'elle a produite de l'Évangile, et où elle retrouve les mêmes enjeux dynamiques d'avènement du sujet dont il s'agit en psychanalyse. Ce qui la conduit à identifier Jésus comme le « maître du désir ».
Avec ce renfort conceptuel que lui donne ici sa foi de chrétienne, la catégorie du désir se voit confirmée comme étant, au cœur de son œuvre, ce qui vient organiser toute sa pensée de l'humain. Cela revient à faire du désir une valeur éminente, à laquelle il convient de rapporter alors ce qui constitue pour elle une exigence éthique, mais justement : une éthique du désir.

Gérard Guillerault