Une personnalité du XXe siècle

Née le 6 novembre 1908 à Paris, Françoise Dolto exerce son métier de psychanalyste dès la fin de ses études de médecine et de son analyse personnelle (1939) jusqu'à un mois avant sa mort, le 25 août 1988. Son parcours institutionnel s'inscrit dans l'histoire mouvementée de la psychanalyse en France. En 1953, deux générations après Freud, à l'occasion de l'exclusion de Jacques Lacan de l'IPA (International Psychoanalytic Association) pour cause de pratique non conforme, Françoise Dolto fonde avec lui, Daniel Lagache et Juliette Favez Boutonnier, la Société française de psychanalyse. En 1964, elle suit Jacques Lacan lors de la création de l'École freudienne de Paris. Le couple Lacan-Dolto s'affirme rapidement comme fondateurs du freudisme français. Son enseignement se détache totalement de la psychologie universitaire. Dans ses séminaires, elle répond aux participants à partir de sa clinique afin de dégager une éthique de la psychanalyse d'enfant. Elle est aussi probablement la première à enseigner la psychanalyse en faisant assister ses collègues, non pas à des consultations sur le modèle médical, mais à toute la durée de ses cures avec les enfants. Des générations de psychanalystes se sont ainsi formées à la logique de l'inconscient, à la liberté qu'elle donne et à la rigueur de l'éthique, toutes choses que Françoise Dolto incarnait. Autant on reconnaît son génie clinique, autant il est fréquent qu'on lui dénie son travail théorique. Elle ne faisait pourtant aucune différence entre clinique et théorie.

La psychanalyse en général et Françoise Dolto en particulier sont intimement liées à la transformation du statut de l'enfant: du tube digestif aveugle et sourd qu'il fallait éduquer en le dressant, on est passé en quelques décennies à l'enfant-Sujet inscrit dans le langage avant même de le posséder, anticipant les découvertes plus tardives des neurobiologistes. Les dialogues radiophoniques de Françoise Dolto, dite Docteur X, sur Europe 1 qui se sont significativement déroulés pendant l'année scolaire 68- 69, ont amorcé la vulgarisation de la psychanalyse au meilleur sens du terme. Cette première expérience s'arrête car répondre en direct aux questions des auditeurs, entrecoupée par la publicité ne satisfait pas Françoise Dolto. Entre 76 et 78, l'émission hebdomadaire Lorsque l'enfant paraît, sur France-Inter marque l'apogée médiatique de Françoise Dolto car les auditeurs se sont tout de suite passionnés. Les parents doivent écrire leur questionnement et chacun reçoit une réponse par courrier ou à l'antenne. Loin de fournir, comme on l'en a accusée, des recettes, avec son vocabulaire inimitable et sa voix oh combien vivante, elle aide les parents à réfléchir, à se faire confiance, sans omettre de prendre position. Sa pensée n'en est pas moins complexe mais l'idée selon laquelle l'enfant doit être à la périphérie et non au centre de la vie de ses parents ou qu'il n'y a pas d'âge pour parler à un enfant de ce qui le concerne, revient sans cesse.


L'autre invention de Françoise Dolto qui a essaimé dans toute la France mais aussi en Europe de l'Est et même au Vietnam, c'est La Maison verte inaugurée à Paris en 1979. Ce lieu de rencontre et de loisir des parents (ou futurs parents) avec leurs enfants de moins de trois ans, en présence d'une personne d'accueil et d'un psychanalyste répond à la solitude des femmes citadines qui se retrouvent avec un bébé et un aîné de deux ans qui réagit fortement alors qu'elles-mêmes vont rapidement reprendre leur travail et confier leur nourrisson à des étrangers. Il s'agit, pour les nourrissons, de prévenir les conséquences néfastes des séparations normales de la vie en les anticipant par la parole, véritable prophylaxie des névroses infantiles et de la violence adaptatrice, subie ou agie, des jeunes enfants à la société. Inlassable défenseur de la cause des enfants, Françoise Dolto est sortie de son cabinet pour montrer ce qu'un citoyen-psychanalysé peut apporter à la société.

Caroline Eliacheff