L'AYANT DROIT, SON MORT, SON DEUIL ET SES ARCHIVES

 

 

Intervention de Catherine Dolto
Au Journées d'Etudes de L'Association lacanienne internationale

 


LE DEUIL

Quand ma mère est morte, je me sentais très bien. J'étais sereine, certaine de l'avoir accompagnée, en famille, du mieux possible. Nous avions ri et pleuré avec elle jusqu'aux derniers moments, nous avions longuement parlé de notre séparation à venir et, à part une recette de cuisine restée imprécise, rien ne semblait manquer à mon héritage.
Très vite, j'ai compris que cette sérénité était incompréhensible, voire scandaleuse, aux yeux de certains.
" Vous êtes dans l'euphorie du deuil, c'est classique, mais vous allez vous effondrer ", me dirent deux ou trois collègues de ma mère. C'est tout juste si on n'ajoutait pas : " Rassurez-vous, le pire est forcément à venir "… J'attends toujours.
Au même moment, je me suis trouvée entourée de proches de Françoise que je devais consoler, me disant parfois que c'était quand même ma mère et non la leur qu'ils pleuraient avec tant de souffrance. C'était idiot, je l'ai vite compris. Évidemment, qu'elle était leur mère aussi s'ils le voulaient. Après tout, je ne savais pas ce qu'elle était pour eux, ni en quoi cela me concernait. Leur deuil n'enlevait rien au mien.
C'est ainsi que j'ai compris que LE deuil, ça n'existe pas.
Ce qui m'est apparu clairement c'est que le deuil dépend beaucoup des circonstances de la vie partagée et des circonstances de la mort. Le deuil est à l'image du lien que l'on entretenait avec cette personne, lien qui perdure, lui. Ainsi mon deuil ressemblait à cette relation, profonde mais légère à vivre. Il était léger et dans une certaine mesure, joyeux. Cela n'exclut ni les larmes ni le chagrin. Mais cela modifie le manque.
Le vide laissé est peuplé de souvenirs plus ou moins heureux, dans notre cas j'ose avouer que les souvenirs heureux prédominent. Même le souvenir du moment précis de sa mort s'il est émouvant, n'est jamais triste, au point que cela m'a interrogée. La réponse que j'ai trouvée est liée à ce que je veux vous dire aujourd'hui.
La vérité c'est qu'elle nous avait pris par la main pour entrer dans le début du deuil avec nous. En parlant tranquillement de sa mort qu'elle trouvait " à la fois jouissive (sa curiosité devant un tel moment) et inquiétante (quand même…) ". En préparant ses funérailles, elle nous avait accompagnés un bout de chemin, de ce fait la suite ne faisait pas peur.
Je me souviens d'un moment important, c'était trois semaines avant son décès. Je l'avais roulée dans son fauteuil, son long tuyau d'oxygène lui faisant à la fois une traîne et une laisse dont elle se souciait peu. Ce jour-là, la pièce était nimbée d'une belle lumière, elle a souri d'un air ravi, et a dit presque pour elle-même : " Quel beau bureau ! " Puis, après un temps : " Mais ce n'est plus le mien tu peux y faire ce que tu veux ".
Elle même me montrait ainsi la place qu'il convient de donner aux choses, et la manière de ne pas se laisser encombrer par la sacralisation des lieux, des objets… ni des humains. C'était l'attitude qu'elle m'a implicitement conseillée. Dédramatiser sa mort c'était nous permettre de dédramatiser notre deuil.

On me dit parfois avec commisération que ça doit être bien dur d'avoir une mère célèbre, ou d'être la fille de cette femme-là. Cela me laisse toujours perplexe, entre autres parce que cela sous-tend une hypothèse parthénogénétique qui aurait déplu à mon père comme à nous tous. Ce qui est lourd c'est ce que les autres projettent sur vous. C'est aussi la charge matérielle parce qu'il y a des archives et des textes à publier, mais ce n'est pas dur. Ce qui aurait été dur c'est d'assumer ce poids si nous ne nous étions pas aimées, si cela n'avait pas été elle et si ça n'avait pas été moi. Non, vraiment, LE deuil , ça n'existe pas, et celui-ci est très particulier.

LE MORT ET SES ARCHIVES
Il y a des morts plus ou moins encombrants. Françoise Dolto l'est de deux manières. La première c'est la quantité de textes et de documents audiovisuels, de livres qu'elle a laissés derrière elle, et tout ce qu'on écrit sur elle depuis sa mort. Il y a là un problème concret. J'y reviendrai.
Françoise Dolto est surtout encombrante à cause des effets de transferts qui ne cessent pas avec la mort. Etre son " ayant droit " me met dans une situation spécifique, très exposée. Parfois je me sens réduite au statut de lieu de projections multiples.

Beaucoup pensent qu'ils feraient une bien meilleure fille de Françoise Dolto que moi, et qu'ils assumeraient bien mieux la fonction d'ayant droit. Ils ont peut-être bien raison, mais il se trouve que cette tâche est la mienne et non la leur.
Au début, c'est assez douloureux d'assumer un tel héritage, on se laisse blesser. Peu à peu j'ai compris qu'il me suffisait d'accepter d'être décevante et de ne pas trop m'en émouvoir. Quoi qu'on fasse, on ne peut satisfaire tout le monde. De toutes façons, je ne peux pas correspondre aux multiples " bonnes filles de Françoise Dolto " que les gens ont dans la tête. Ce sont des choses qu'il m'a fallu travailler.
Le statut d'ayant droit est vraiment stupéfiant et… dangereux. Comment en effet ne pas déraper quand, parfois, on vous met en demeure de parler à la place du mort ? C'est une place qui implique une réflexion intense sur la question de la trace.
Décider à la place du mort, sans se prendre pour lui, sans perdre sa propre vie dans une posture de vestale, c'est un exercice particulier. On porte son mort en bandoulière, mais il faut éviter de prendre pour soi les coups qui lui sont destinés. On passe par des moments douloureux, on se trompe, au début surtout on tâtonne. " Vous n'allez quand même pas censurer votre mère ! " s'écrient les uns d'un air outré. " Vous n'allez quand même pas laisser imprimer ça, elle se trompait quand elle disait ça, c'est mauvais pour son image " ! disent les autres. On se rassure quand on comprend la place depuis laquelle ils parlent, et ce dont ils ont peur… pour eux. Peur dont ils sont rarement conscients.
L'important c'est de ne pas avoir peur pour elle ni pour soi, ce n'est pas toujours facile.
La décision de m'engager, de l'engager dans ces journées fut une des plus difficiles à prendre. En effet, ma présence ici est aux yeux de certains choquante et je peux le comprendre. Elle me sera reprochée.
Je sais que je parle dans un groupe dont certains des dirigeants ont tenu autrefois, concernant Françoise Dolto, ma mère, des propos allant bien au-delà de la courtoisie que le débat scientifique suppose. Je n'ai rien oublié. Et il me suffit de me replonger dans ce passé, relativement proche pour retrouver le goût amer de la douleur que nous avons traversé en ces moments houleux qui, comme cela a été dit ne font pas honneur à l'histoire de la psychanalyse. Cette douleur appartient à l'intime.
Je suis reconnaissante à Charles Melman d'avoir abordé lui même cette question. Il a dit ce que j'ai toujours pensé être la vérité : c'est parce qu'on a cru qu'elle voulait prendre le pouvoir qu'elle a été attaquée si violemment. Je peux vous dire avec certitude qu'elle n'a jamais eu ce désir de pouvoir qu'on lui prêtait. Elle n'était pas une femme de pouvoir. De plus, à l'époque, ce qui était le plus important pour elle comme pour nous, c'était la santé de notre père, Boris Dolto, gravement malade. On a pensé qu'elle voulait prendre le pouvoir alors qu'elle s'apprêtait à perdre son compagnon tant aimé. Ironie de l'histoire.
Plusieurs raisons m'ont poussée à accepter quand même votre invitation, en dehors du fait qu'elle m'est parvenue par Nazir Hamad auquel je suis liée par l'amitié.
La première de ces idées qui m'ont poussée à accepter est qu'il me paraît fou d'identifier tous les membres d'une association à ses dirigeants. Il y a là de quoi éteindre tout débat. La deuxième est que les gens ont le droit d'évoluer et que nier la possibilité d'ouverture à un débat au nom du passé me parait " anti vie " pour utiliser un néologisme que ma mère n'aurait pas renié.
Les enfants de psychanalystes de ma génération en ont vu de belles ! Les scissions, les trahisons, les amis qui ne vous saluent plus, les idéaux jetés aux orties, tout cela a une drôle d'allure pour des yeux d'enfants qui attendent que les grandes personnes ne se comportent plus comme des enfants…
D'une certaine façon cela fait mûrir précocement, si mûrir c'est perdre ses idéaux et accepter que rares sont ceux qui disent ce qu'ils font et font comme ils disent. Jusqu'à preuve du contraire Françoise et Boris Dolto étaient de ceux là.
Quand on est petit on croit que tous les amis des parents sont comme les parents… La traversée de ces scissions a probablement fonctionné comme un vaccin, j'y reviendrai.

De tout cela j'ai acquis la conviction que bien des vérités…ne sont que du moment. Que les thérapeutes sont enseignés par leurs patients aux moins autant que par leurs pairs et que les théories avancent poussées par la clinique. Elles se battent et se fécondent dans des échanges que je crois précieux. Derrière bien des enjeux théoriques, ce sont surtout des enjeux de pouvoir qui avancent masqués.
Mais chaque fois que les idées et les expériences sont mises au travail, débattues pour elles mêmes je crois qu'on n'a pas le droit de se dérober.
C'est pour toutes ces raisons que j'ai accepté participer à ces journées. Et je dois vous dire maintenant qu'elles touchent à leur fin que je suis profondément heureuse de l'avoir fait et je suis sure que Françoise Dolto aurait adoré être là et débattre avec nous. Dans la merveilleuse lettre que Claude Dumézil lui a envoyée ce matin il manquait une de ses qualités essentielles : elle n'était pas rancunière. Au point qu'il fallait parfois lui rappeler qu'untel ou unetelle lui avait fait du tort. C'était une de ses forces.
Nous avons dépassé ici, ensemble, les querelles inutiles pour entrer dans la réflexion, nous pouvons maintenant penser ensemble. C'est une bonne nouvelle.
Françoise Dolto était méconnue parce que trop connue. Sa notoriété, cette moisissure, lui faisait de l'ombre. Pourtant, cela lui était tombé dessus sans qu'elle le cherche parce qu'une certaine manière militante de se penser psychanalyste citoyenne l'avait poussée sur le devant d'une scène médiatique où sa manière d'être avait séduit les médias, bien malgré elle. Sa notoriété était un avatar de son choix de diffusion des idées et connaissances auxquelles elle croyait. Elle a fait avec, mais elle en a souffert, beaucoup, comme l'a très justement rappelé tout à l'heure Yannick François.
Le temps et nos efforts communs ont fait leur ouvrage, Françoise Dolto rejoint maintenant ceux de ses collègues qui la connaissaient mal. Il me semble qu'a l'échelle du petit monde que nous partageons ces journées constituent un moment historique.

POURQUOI LES ARCHIVES ?

Françoise Dolto est encombrante dans la mesure où elle a abondamment parlé sans se préoccuper beaucoup de ce qu'on faisait de sa parole. Elle ne contrôlait pas ces choses-là. Elle était généreuse de sa parole comme du reste.
Elle pouvait être naïve et imprudente. Parfois elle parlait trop vite, elle associait devant les autres, elle ne s'informait pas assez et elle se trompait. Grâce à quoi elle a laissé beaucoup de réflexions cliniques, d'observations sur les faits de société qui sont très précieuses. Je ne suis pas toujours d'accord avec ce qu'elle a dit, parfois je peste et si elle était vivante nous aurions une discussion serrée sur la question comme nous en avions parfois. Il m'arrive de me dire qu'elle aurait mieux fait de se taire, mais, dans le fond, cela n'a absolument aucune importance. Il lui arrivait d'être brutale en parole, trop directe pour certains interlocuteurs, c'est fait, on ne peut revenir la dessus.
Pourquoi faudrait-il que Françoise Dolto soit infaillible ? De son vivant, elle ne se prenait pas au sérieux et acceptait volontiers le débat et la critique. Par quel miracle une fois morte devrait-elle parler toujours juste ?Elle serait bien la seule.
Ce qui est difficile pour les morts c'est qu'ils ne sont pas là pour nuancer leur pensée et parfois la défendre. Il me semble donc indécent d'attendre d'eux ce que bien peu de vivants réussissent. Je suis parfois surprise de l'intensité des débats autour d'un propos qu'elle a tenu, voire laissé imprimer, un jour en passant. Certains s'offusquent, d'autres cherchent milles significations, il me parait plus simple d'accepter qu'elle était humaine et qu'elle pouvait se tromper.Elle a même dit ou écrit ce que l'on peut appeler, avec le recul, des bêtises. Il me semble qu'elle y a droit. Que Françoise Dolto ait dit une chose à laquelle je n'adhère pas dans le domaine social, politique ou religieux, ne me gêne pas et n'entache en rien mon respect pour son travail comme pour sa personne, ni mon amour pour elle.
En effet nous avons eu la chance de vivre cette étonnante aventure d'un lien de sang et d'amitié qui est resté vivant et changeant jusqu'a sa fin. Quand la gravité de sa maladie m'a mise en situation de prendre soin d'elle, elle s'amusait à parler de nous en disant " Françoise et Catherine Dolto, alternativement mère et fille "
Ce qui est essentiel c'est ce qu'elle a dit et transmis de son travail clinique et théorique, le reste c'est sa liberté et sa vérité du moment. Elle y a droit. Là encore il s'agit de ne pas avoir peur à sa place, ce qui serait à proprement parler abusif puisqu'elle même pensait que vivre c'est se risquer et que les résistances sont le signe que l'on a dit quelque chose de juste et d'important. Etre approuvée ne l'intéressait pas, elle voulait être entendue.

Je n'adhère pas à la " doltolâtrie fusionnelle" de certains, et même, je la redoute. Je ne me sens pas blessée quand on la critique. Je trouve cela normal et même sain. Mais je souffre quand on l'insulte parce que là il ne s'agit plus de Françoise Dolto, mais de ma mère.Au fil du temps, j'ai appris à trouver la bonne distance avec tout ce qui s'est noué autour de son œuvre et de sa personne.

Une femme est passée, une œuvre demeure. Comment faire face à ce reste là avec dignité ? Comment être digne de ces parents là ? ( elle aurait détesté qu'en parlant de notre éducation on oublie notre père)
J'ai appris qu'être ayant droit, c'est avant tout être " ayant devoir ".
Devoir de prendre conscience que l'on ne parle pas de la place du mort mais de la sienne propre, même si l'artifice juridique et la névrose des interlocuteurs, ainsi que celle de l'ayant droit, vous poussent sans cesse à la confusion.
Il y a un devoir de veille qui est assez doux pour une fille. Devoir de protéger l'œuvre de la destruction matérielle et de l'oubli, qui répond au devoir de l'aider à détruire les dossiers de ses patients avant sa mort. Devoir de ne pas la laisser dévoyer, détourner, instrumentaliser sa pensée.
Devoir de rassembler et publier les inédits et re-publier les textes mal établis. Faire interdire les textes douteux où on lui prête des propos qu'elle n'a pas tenus ou sortis de leur contexte au point de perdre leur sens. Un nom qui fait vendre suscite les indélicatesses.
On se fait vite des ennemis à ce jeu-là. Il faut apprendre à vivre avec, et à supporter qu'on vous prête des propos et des intentions qui ne sont pas les vôtres. C'est assez dangereux pour la santé mentale, mais si on travaille la question et si on sait s'entourer cela devient une excellente gymnastique qui vous fortifie l'âme.
Le grand danger c'est de se retrouver seul, je l'ai compris très vite. Fonder une association m'a semblé la meilleure manière de faire face à ces responsabilités. On me reproche souvent d'avoir choisi un intitulé compliqué : Archives et Documentation Françoise Dolto.
Je voulais que l'on sache d'emblée qu'il ne s'agissait pas d'un fan-club mais d'un lieu de travail, de rencontres et d'information. Dans notre local sont rassemblés tous les inédits, tous les livres et articles qui la concernent, toutes les éditions françaises et étrangères de ses livres. Elle est publiée dans pratiquement toutes les langues, y compris en chinois et en coréen, mais pas en anglais, en effet quand son premier livre avait été traduit en anglais, Anna Freud était encore vivante et le mot d'ordre avait été donné chez les Anglophones de ne pas s'intéresser à cet ouvrage là. Il fût pilonné.
Dans nos archives on trouve aussi les vidéos, les cassettes audio, les articles de presse et les photos. Pour compléter cet inventaire à la Prévert, il faut ajouter des objets personnels et quelques exemplaires de la poupée fleur.
Ceux qui sont intéressés peuvent venir lire, voir des vidéos, consulter des documents, chercher des adresses. Les archives accueillent et renseignent des étudiants et des chercheurs du monde entier, mais on n'y enseigne pas puisqu'elle n'a jamais voulu faire école. Pendant longtemps nous avons accueilli des jeunes condamnés à des travaux d'intérêt général, les TIG, certains sont restés proches et nous aident bénévolement.
Nous organisons des journées de réflexion et d'échanges ainsi que des projections de vidéos suivies de débats à Paris et en province. Il s'agit de mettre l'œuvre au travail au fil du temps, de l'évolution des idées et des connaissances, et de la société.
Les archives sont aussi le lieu où se rencontrent ceux qui se sentent suffisamment proches de Françoise Dolto, pour souhaiter participer aux multiples tâches qui sont les nôtres. Nous avons un fonctionnement qui se veut collégial et ouvert. Il existe un petit groupe à géométrie variable selon les moments, mais à loyauté continue, qui travaille à la publication des textes. L'activité éditoriale est une des fonction dérivée des archives. C'est moi qui signe les contrats mais, dans la mesure du possible, tout est débattu en groupe avant, surtout quand les décisions sont difficiles et porteuses d'enjeux importants.
Bien évidemment cela implique des moments de tension et de conflits, mais depuis quatorze ans nous continuons et évoluons. Notre fierté, en dehors de notre survie qu'on nous avait annoncée comme impossible, ce sont les livres dont nous avons permis la parution. Les textes sont toujours établis par au moins deux et si possible trois, membres des archives. En cas de doute, on se réunit en plus grand groupe et on discute. Je n'ai pas droit de veto, c'est pour moi une protection indispensable contre l'abus de pouvoir, risque toujours présent. Le fait d'être la fille de ma mère ne me donne pas, à priori, plus de compétence qu'à d'autres pour bien des décisions. C'est ensemble que nous avons décidé de publier le plus vite possible les inédits de manière à ce que le débat critique sur l'œuvre dans toutes ses dimensions se déroule dans les meilleures conditions.
Les quatre jours à l'Unesco, que nous avons réalisés dix ans après la mort de Françoise Dolto - et dont les actes sont publiés chez Gallimard sous le titre " Françoise Dolto, aujourd'hui présente " -ont été un succès qui nous a permis de renforcer notre confiance dans cette manière de gérer, en groupe, cette postérité. Je crois que nous sommes les seuls héritiers, en France du moins, à avoir choisi un tel fonctionnement, il est vrai que cela représente un coût financier.
Avec le recul, je comprends combien il était indispensable pour moi d'être ainsi entourée d'un cercle amical, professionnel et compétent. Ca l'est d'autant plus que j'ai choisi de ne pas être psychanalyste. Bien que j'utilise beaucoup dans ma pratique de l'haptonomie, science humaine phénoménologique, ce que j'ai reçu d'elle dont la pratique était très phénoménologique.

J'éprouve une profonde gratitude pour ce comité qui m'entoure et m'aide. Je suis aussi très reconnaissante à mes frères, à Colette Percheminier, notre directrice, et à tous les membres des archives qui m'assistent dans cette tâche de transmission.
Se réunir, travailler à plusieurs à faire vivre la mémoire et l'œuvre d'un seul, c'est se départir de l'exclusive, des effets de transfert et de leur violence. C'est aussi, tout simplement, témoigner du fait que se débrouiller de cela solitairement est peut-être une mission impossible. A plusieurs on se protége les uns les autres de la tentation de prendre le pouvoir sur l'œuvre. Il me semble que si Françoise Dolto sort maintenant d'un relatif purgatoire sans que personne ne se trouve en position de parler en son nom c'est à l'existence des Archives que nous le devons.
Je suis certaine que sans ce dispositif ouvert et convivial, mon équilibre psychoaffectif, ma santé mentale, n'auraient pas résisté à la situation d'ayant droit avec la fausse toute puissance qu'elle implique. Je serais devenue folle, écrasée par une telle tâche. La vaccination des scissions dont j'ai parlé plus haut, m'a permis de savoir, dès la mort de ma mère, qu'elles épreuves je risquais de traverser, les archives ont donc répondu à un double besoin de protection. Elles la protégent mais elles me protégent, je n'ai jamais eu aucun doute à ce propos.
Je tiens à rendre ici hommage à Antoine Gallimard. Il s'est toujours montré attentif à la vie des Archives, il nous a fait confiance et il nous apporte son soutien financier régulier. C'est pour cela que toutes les reprises et tous les inédits sont publiés chez lui ou dans la filiale qu'est le Mercure de France pour les très courts textes du Petit Mercure.
Là encore, il s'agit d'un travail d'équipe sous la direction de Colline Faure-Poirée. Avec elle, nous espérons, en accord avec Le Seuil qui fut le premier éditeur, publier en coédition des œuvres complètes.
C'est la première fois que je prends la parole sur ces questions très importantes pour moi et je trouve que c'est un joli cadeau de la vie que l'occasion m'en soit donnée par vous, ici.

Je vous remercie de votre attention.

 


Catherine Dolto,
Journées de L'association Lacanienne Internationale, Lacan avec Dolto, Paris 8 et 9 mars 2003